ENTRETIEN À 360°
Mots croisés et choisis à l’occasion de la sortie DVD de cACTUS #01 avec Ivora Cusack, Agathe Dreyfus et Christine Gabory les trois fondatrices du collectif 360° et même plus.
cACTUS #01 est le premier numéro d’une série de films d’actus courts et piquants.
– Pourquoi ce nom ? cACTUS ?
Dans cACTUS il y a le mot ACTUS qui fait référence aux films d’actualité qui étaient projetés dans les salles de cinéma. Une envie de filmer le présent avec un regard décalé qui parfois peut piquer !
– Quelle est l’origine de cette compilation de films courts ?
On a commencé par explorer la forme du film d’actualité en réalisant des documentaires courts autour du Réseau Éducation Sans Frontières (RESF), un réseau de soutien aux familles sans papiers. Cinq films ont émergé et nous les avons regroupés sur un premier DVD intitulé RESF : un réseau de résistances. Avec les films cACTUS, on est dans un prolongement de cette démarche. Une forme courte, un geste spontané dans la lignée du cinéma direct. Il y a d’autres cACTUS dans nos tiroirs, que nous n’avons pas encore montés.
– Vous êtes réalisatrices de documentaires. Comment abordez-vous l’actualité ?
Il y a un désir fort dans tous nos films de s’ancrer dans ce qui se passe autour de nous. Pour autant, nous ne prétendons pas suivre l’actualité, être dans le flux. Il y a des films que nous avons montés longtemps après le tournage.
Nous prenons le temps au tournage et au montage d’interroger ce que la fugacité du flux des infos et des images ne laisse pas le temps de saisir…
À l’inverse de la télévision, les images d’illustration ne nous intéressent pas. Nous essayons de capter ce qui se joue, ce qui se passe. On fait peu d’interviews dans ces films. Ce qui n’empêche pas la parole d’être présente, elle émerge mais souvent sous forme de dialogues. S’il y a une interview, elle donne une information constitutive de l’événement. L’histoire est racontée par les personnes qui la vivent.
– Le premier film s’intitule À droite toute, réalisé en 2007. Il est étrangement prémonitoire…
Étrangement, pas vraiment. En 2007, quand Sarkozy est arrivé au pouvoir, le glissement vers la droite dure était déjà bien amorcé. Six années ont passé entre À droite toute et Ecce homo. La première manif en 2007 était une fausse manifestation de droite. La seconde, tournée le 17 novembre 2012, était organisée par des partisans du non au « mariage pour tous ». Les slogans étaient presque les mêmes, et le parcours aussi. On ne pensait pas en 2007 que la droite allait réellement s’emparer de cette forme d’action que sont les manifestations.
– Vos films accompagnent-ils des luttes ? Est-ce qu’on peut dire de votre cinéma qu’il est militant ?
C’est un cinéma engagé, ce n’est pas un cinéma militant, dans lequel le message à faire passer reste prioritaire. Là, on capte ce qui se passe, on essaye de le restituer. La forme n’est pas déterminée par avance. Dans le cas d’Un Blocage sinon rien, ce qui nous intéresse, c’est comment peut émerger une parole entre des acteurs du mouvement et un opposant. Filmer cette confrontation dans sa durée.
Il y a beaucoup de longs plans séquences dans ces films. C’était déjà le cas dans RESF : un réseau de résistances. Un film militant privilégie plus une vision univoque. Il est là pour servir un message, une idéologie à défendre. Ce qui est sûr, c’est qu’on filme des mouvements dans l’espace public, avec lesquels nous sommes en empathie.
Nous ne cachons pas pour autant nos engagements militants. Nous avons toutes par la suite été actives dans le RESF par exemple.
Tous nos films n’ont pas cette facture. On essaye aussi de saisir une atmosphère parfois dans toute son absurdité. C’est le cas d’Opération Vigipoubelle, quand l’armée intervient à Marseille pour nettoyer les rues, durant la grève des éboueurs.
– Rares sont les documentaristes en France qui abordent l’actualité de cette façon. Votre travail s’inscrit-il malgré tout dans un mouvement collectif ?
Un blocage sinon rien et Opération vigipoubelle ont été fabriqués très vite au moment de la mobilisation contre la réforme des retraites à l’automne 2010. Dans cette période de bouillonnement social, la coopérative audiovisuelle Les mutins de Pangée, dont nous sommes proches et qui distribue nos DVD, réalisait à ce moment-là des films courts diffusés sur le web, qui ont par la suite donné le documentaire Grandpuits et petites victoires. On a eu envie nous aussi de témoigner de ce mouvement sur le territoire marseillais.
Notre travail s’inscrit aussi dans le sillon creusé par Zalea TV, télévision associative, qui a existé de 2002 à 2007. 360° et même plus et Les mutins de Pangée sont issus de Zalea, plusieurs membres des deux collectifs y ont participé. On tient à cette manière de regarder, d’envisager le réel, de faire des films décalés. Nous avons aussi été inspirés par les films courts réalisés par le collectif Sans Canal fixe, des films politiques décalés et ancrés dans leur ville, Tours.
Il y a aussi des résonances avec Newsreel, collectif américain de la fin des années soixante qui a redonné vie à un cinéma d’actualité contestataire. 360° et même plus travaille d’ailleurs en ce moment à la réalisation d’un documentaire sur ce collectif et ses films : Newsreel, cinema reclaimed.
– Ces films sont d’abord diffusés en ligne. Pourquoi faire le choix de les diffuser aussi sur un DVD ?
Il nous importe que ces films soient en premier lieu visibles et accessibles en ligne pour les partager avec un public auquel nous n’accéderions pas uniquement avec l’objet DVD. Par exemple avec Ecce Homo, nous avons touché plus de 9000 personnes, pour nous cette ouverture via le web est importante.
Le DVD c’est autre chose, nous l’envisageons comme un objet de soutien au collectif, qui participera à son économie et nous permettra de continuer à faire ce cinéma, sans financements publics.
Mais c’est aussi un objet matériel que nous pouvons archiver, tant qu’il y aura des lecteurs DVD…
Propos recueillis par Emmanuel Vigier en octobre 2014